Page:Daudet - Jack, II.djvu/251

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ce jour consacré. Dès le matin, les fiacres à balcons, les tapissières s’arrêtent à la porte, les couloirs poussiéreux s’emplissent de défilés plus ou moins longs, stationnant pendant des heures dans la grande salle commune. Toutes les noces sont mêlées, les garçons d’honneur font connaissance, vont tuer le ver ensemble, les mariées se regardent, se dévisagent, s’analysent, tandis que les parents, désœuvrés d’une longue attente, causent entre eux, mais à voix basse ; car, malgré toutes ses laideurs, la nudité de ses murs et la banalité de ses affiches, la municipalité impressionne ces pauvres gens. Le velours râpé des banquettes, la hauteur des salles, l’huissier à chaîne, l’adjoint solennel, tout les terrifie et les amuse. La Loi leur fait l’effet d’une grande dame inconnue, invisible, qui les recevrait dans ses salons. Je dois dire que parmi les innombrables défilés qui traversèrent la petite cour de la mairie de Ménilmonte en ce bienheureux samedi, la noce de Bélisaire fut une des plus brillantes, bien qu’elle manquât de cette robe blanche de la mariée qui met toutes les femmes aux fenêtres et tous les oisifs de la rue en rumeur. Madame Weber, en sa qualité de veuve, portait une robe d’un bleu éclatant, de cette couleur indigo cru chère aux personnes qui aiment le solide, un châle tapis plié sur le bras et un bonnet somptueux orné de rubans et de fleurs qui voltigeaient au-dessus de son visage luisant d’Auvergnate débarbouillée. Elle accompagnait le père Bélisaire, un petit