Page:Daudet - Jack, II.djvu/252

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vieux tout jaune, avec un nez crochu, des mouvements vifs et des quintes de toux perpétuelles que sa nouvelle bru avait toutes les peines du monde à calmer en lui administrant de vigoureuses frictions dans le dos. Ces frictions réitérées troublaient la majesté de la noce interrompue à chaque instant dans sa marche triomphale et dont tous les couples se trouvaient serrés l’un contre l’autre, attendant la fin de la quinte.

Bélisaire marchait en second, donnant le bras à sa sœur, la veuve de Nantes, le bec crochu comme son père, sournoise et crépue. Quant à lui, ses pratiques habituelles ne l’auraient pas reconnu. Le pli d’atroce souffrance qui sillonnait ses joues de chaque côté, sa grosse veine bleue gonflée au milieu du front, cette bouche toujours ouverte qui disait « aïe » sans parler, rien de tout cela n’existait plus ; et, la tête levée, presque beau, il avançait fièrement l’un devant l’autre d’énormes escarpins cirés, des souliers sur mesure faits tout exprès pour lui, tellement larges, tellement longs, qu’ils lui donnaient l’aspect d’un habitant du Zuyderzee chaussé de ses patins d’hiver. N’importe ! Bélisaire ne souffrait plus, il avait l’illusion d’une paire de pieds tout neufs, et une double félicité faisait resplendir son visage. Il tenait par la main l’enfant de madame Weber dont la grosse tête était encore exagérée par une de ces frisures extravagantes dont les coiffeurs du faubourg ont le secret. Le Camarade, à qui on avait eu toutes les peines du monde à faire quitter pour un jour son marteau