Page:Daudet - Jack, II.djvu/266

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le boulanger, son patron, n’avait déclaré qu’il prenait à son compte tous les frais du bal. Cependant le jour approchait. Depuis longtemps le petit Weber ronflait, étendu sur une banquette, entouré du châle-tapis de sa mère. Jack avait déjà fait à Ida bien des signes, qu’elle feignait de ne pas comprendre, emportée par le plaisir que sa nature heureuse savait ramasser autour d’elle partout où elle se trouvait. Il ressemblait à un vieux papa cherchant à emmener sa fille d’une soirée :

— Allons, il est tard.

Elle passait, en tournant au bras de n’importe qui :

— Tout de suite… Attends.

Mais le bal prenait une tournure abandonnée et folâtre qui le gênait pour elle. Le Camarade commençait à faire des bêtises, et parmi les honnêtes bourrées de l’ancienne madame Weber, risquait des « cavalier seul » sur les mains, sans lâcher sa pipe ! Jack parvint à prendre sa mère au vol, à l’envelopper de sa grande mante à capuchon et à la faire monter dans le dernier fiacre errant sur l’avenue. Derrière eux, le ménage Bélisaire ne tarda pas à se retirer aussi, abandonnant ses joyeux invités. Pas de chemin de fer à cette heure matinale, pas encore d’omnibus non plus. Les nouveaux époux décidèrent de revenir à pied par le bois de Vincennes, Bélisaire portant l’enfant sur son épaule et donnant le bras à sa femme. La fraîcheur leur semblait bonne après l’étouffement de la guinguette, dont l’aspect était du reste lugubre au jour levant.