Page:Daudet - Jack, II.djvu/343

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Quel magnifique regard de mère elle jeta à son petit endormi sur ses genoux !

… Ah ! mon pauvre Bélisaire, tu ne seras jamais qu’une poule mouillée.

Le camelot baissait la tête. Il s’attendait bien à être secoué en revenant, mais il n’était pas maître de sa timidité, l’habitude de s’en aller sur les chemins et par les rues avec une permission de forain, à la merci des gendarmes et des sergents de ville, lui ayant donné une humilité courbée, que toutes les vaillances de sa femme ne parvenaient pas à redresser.

— Si j’y étais allée, moi, je suis bien sûre que je l’aurais ramenée… disait la brave personne en serrant les poings.

— Laissez donc, ma chère, ripostait aigrement madame Levindré, vous ne savez pas ce que c’est que ces femmes-là.

Elle disait « ces femmes-là, » depuis que le départ d’Ida de Barancy lui avait ôté tout espoir pour sa machine à coudre ou la commandite de son mari. Celui-ci venait d’entrer aussi. Tous les soirs, avec cette facilité des clefs sur les portes adoptée dans les intérieurs pauvres, on voisinait chez le malade sous prétexte de prendre de ses nouvelles. En apprenant que la dame n’était pas venue, M. Levindré commença une longue tirade sur la Phryné moderne, honte de nos sociétés, et déroula une fois de plus son système politique qui débarrasserait le monde de toutes ces sco-