Page:Daudet - La Police et les chouans sous le Consulat et l’Empire, 1895.djvu/142

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dit dans un rapport au conseil des Cinq-Cents, le Finistère a réussi à repousser la descente des uns et à se garantir de l’invasion des autres. On ne s’y est armé que pour la défense de la liberté, qui, chassée des autres parties de l’Ouest, y a toujours trouvé un refuge assuré. »

Pour être sincère, ce rapport aurait dû dire qu’en fait de liberté le Finistère avait connu surtout la persécution religieuse. Elle s’y était déchaînée âpre et violente et exercée pendant dix ans avec des excès de rigueur, inspirés par l’esprit terroriste et jacobin. Les prêtres qui refusaient de prêter serment à la constitution civile du clergé, les fidèles qui approuvaient leur résistance avaient été l’objet de vexations odieuses, encouragées par le clergé constitutionnel et par les deux évêques assermentés, Expilly et Audrein, qui, de 1790 à 1800, administrèrent successivement le diocèse en dépit des protestations du Pape qui s’abstenait de conférer l’institution canonique à eux et à leurs pareils. L’énumération des supplices, la liste des victimes emprisonnées, déportées, guillotinées, constituent pour l’Église de Bretagne un glorieux martyrologe.

C’est du souvenir ravivé de ces jours de sang et de violence que, ce soir-là, s’alarmait Audrein. Les temps étaient bien changés. Bonaparte, devenu premier Consul, le coup d’État de Brumaire accompli, on commençait à parler d’une entente entre le gouvernement de la République et la cour de Rome pour la réorganisation du culte proscrit. Un vent de réaction soufflait déjà d’un bout à l’autre du département, menaçant ceux qui, depuis tant d’années, le tyrannisaient. Quelles vengeances n’avaient pas à redouter les hommes sans conscience qui, comme Audrein, s’étaient avilis, par peur ou par fanatisme, jusqu’à n’être que les instruments des iniquités révolutionnaires !