Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/339

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cause de tout le bonheur que tu apportais en surcroît ce matin-là dans la grande maison neuve au bout de l’ancien faubourg.

Les toilettes terminées, le déjeuner fini, pris sur le pouce — et sur le pouce de ces demoiselles vous pensez ce qu’il peut tenir — on était venu mettre les chapeaux devant la glace du salon. Bonne-Maman jetait son coup d’œil général, piquait ici une épingle, renouait un ruban là, redressait la cravate paternelle ; mais, tandis que tout ce petit monde piaffait d’impatience, appelé au-dehors par la beauté du jour, voilà un coup de sonnette qui retentit et vient troubler la fête.

— Si on n’ouvrait pas ?… proposent les enfants.

Et quel soulagement, quel cri de joie en voyant entrer l’ami Paul !

— Vite, vite, venez ; qu’on vous apprenne la bonne nouvelle… »

Il le savait bien avant tous que la pièce était reçue. Il avait eu assez de mal pour la faire lire à Cardailhac, qui, sur la seule vue des « petites lignes », comme il appelait les vers, voulait envoyer le manuscrit à la Levantine et à son masseur, ainsi que cela se pratiquait pour tous les ours du théâtre. Mais Paul se garda de parler de son intervention. Quant à l’autre événement, celui dont on ne disait mot à cause des enfants, il le devina sans peine au bonjour frémissant de Maranne, dont la blonde crinière se tenait toute droite sur son front à force d’être relevée à deux mains par le poète, comme il faisait toujours dans ses moments de joie, au maintien un peu embarrassé d’Élise, aux airs triomphants de M. Joyeuse, qui se redressait dans ses habits frais, tout le bonheur des siens écrit sur sa figure.