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Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/430

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trouvait heureux d’instruire les petits Jansoulet, récemment expulsés de Bourdaloue. De cet air solennel, arrogant, accablé de responsabilités, que devaient avoir les grands prélats chargés de l’éducation des Dauphins de France, il précédait trois petits bonshommes frisés, gantés, à chapeaux oblongs, en vestons courts, avec des sacs de cuir en sautoir et de grands bas rouges montant jusqu’au milieu de leurs petites jambes maigriottes d’enfants grandissants, la tenue du parfait vélocipédiste au moment de monter en selle.

« Mes enfants », dit Cabassu, le familier de la maison, « voilà madame Jansoulet, votre grand-mère, qui est venue à Paris exprès pour vous voir. »

Ils s’arrêtèrent très étonnés, en rang de taille, examinant ce vieux visage crevassé entre les barbes jaunes de sa coiffe, cette mise étrange, d’une simplicité inconnue ; et l’étonnement de leur grand-mère répondait au leur, doublé d’une déconvenue navrante et de la gêne ressentie en face de ces petits messieurs gourmés et dédaigneux autant que les marquis, les comtes, les préfets en tournée que son fils lui amenait à Saint-Romans. Sur l’injonction de leur précepteur « de saluer leur vénérable aïeule », ils vinrent à tour de rôle lui donner ces petites poignées de main à bras trop courts, dont ils avaient tant distribué dans les mansardes, et le fait est que cette bonne femme à la figure terreuse, aux hardes propres mais bien simples, leur rappelait les visites de charité du collège Bourdaloue. Ils sentaient d’eux à elle le même inconnu, la même distance, qu’aucun souvenir, que nulle parole de leurs parents n’était jamais venue combler. L’abbé comprit cette gêne et se lança, pour la dissiper, dans une allocution débitée de cette voix de gorge, avec ces gestes viru-