Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/58

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Le Nabab s’interrompit :

« J’aurais dû vous reconnaître, monsieur de Géry… Vous ressemblez à votre père… Asseyez-vous, je vous en prie. »

Puis il acheva de parcourir la lettre. Sa mère ne lui demandait rien de précis, mais, au nom des services que la famille de Géry leur avait rendus autrefois, elle lui recommandait M. Paul. Orphelin, chargé de ses deux jeunes frères, il s’était fait recevoir avocat dans le Midi et venait à Paris chercher fortune. Elle suppliait Jansoulet de l’aider, « car il en avait bien besoin, le pauvre ». Et elle signait : « Ta mère qui se languit de toi, Françoise. »

Cette lettre de sa mère, qu’il n’avait pas vue depuis six ans, ces expressions méridionales où il trouvait des intonations connues, cette grosse écriture qui dessinait pour lui un visage adoré, tout ridé, brûlé, crevassé mais riant sous une coiffe de paysanne, avaient ému le Nabab. Depuis six semaines qu’il était en France, perdu dans le tourbillon de Paris, de son installation, il n’avait pas encore pensé à sa chère vieille ; et maintenant il la revoyait toute dans ces lignes. Il resta un moment à regarder la lettre, qui tremblait entre ses gros doigts…

Puis, cette émotion passée :

« Monsieur de Géry, dit-il, je suis heureux de l’occasion qui va me permettre de vous rendre un peu des bontés que les vôtres ont eues pour les miens… Dès aujourd’hui, si vous y consentez, je vous prends avec moi… Vous êtes instruit, vous semblez intelligent, vous pouvez me rendre de grands services… J’ai mille projets, mille affaires. On me mêle à une foule de grosses entreprises industrielles… Il me faut quelqu’un qui m’aide, qui me supplée au besoin… J’ai bien un secrétaire, un