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Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/84

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quillement un sorbet. Elle l’accueillit avec un naturel parfait. Discrètement, l’entourage s’était retiré. Pourtant, et malgré ce qu’avait entendu Géry sur leurs relations présumées, il semblait n’y avoir entre eux qu’une camaraderie toute spirituelle, une familiarité enjouée.

« Je suis allé chez vous, mademoiselle, en montant au Bois.

— On me l’a dit. Vous êtes même entré dans l’atelier.

— Et j’ai vu le fameux groupe… mon groupe.

— Eh bien ?

— C’est très beau… Le lévrier court comme un enragé. Le renard détale admirablement… Seulement je n’ai pas bien compris… Vous m’aviez dit que c’était notre histoire à tous les deux ?

— Ah ! voilà… Cherchez… C’est un apologue que j’ai lu dans… Vous ne lisez pas Rabelais, monsieur le duc ?

— Ma foi, non. Il est trop grossier…

— Eh bien, moi, j’ai appris à lire là-dedans. Très mal élevée, vous savez. Oh ! très mal… Mon apologue est donc tiré de Rabelais. Voici : Bacchus a fait un renard prodigieux, imprenable à la course. Vulcain de son côté a donné à un chien de sa façon le pouvoir d’attraper toute bête qu’il poursuivra. « Or, comme dit mon auteur, advint qu’ils se rencontrèrent. » Vous voyez quelle course enragée et… interminable. Il me semble mon cher duc, que le destin nous a mis ainsi en présence, munis de qualités contraires, vous qui avez reçu des dieux le don d’atteindre tous les cœurs, moi dont le cœur ne sera jamais pris. »

Elle lui disait cela, bien en face, presque en riant, mais serrée et droite dans sa tunique blanche qui semb-