Aller au contenu

Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/92

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— C’est trop compliqué pour moi… ça me fait peur, répondit Paul de Géry d’une voix sourde.

— Oui, oui, je comprends, reprit l’autre avec une fatuité adorable. Vous n’avez pas encore l’habitude mais on s’y fait vite allez ! Regardez comme en un mois je me suis mis à l’aise.

— C’est que vous étiez déjà venu à Paris, vous… Vous l’aviez habité autrefois.

— Moi ? jamais de la vie… Qui vous a dit cela ?

— Tiens, je croyais… » répondit le jeune homme, et tout de suite une foule de réflexions se précipitant dans son esprit :

— Que lui avez-vous donc fait à ce baron Hemerlingue ? C’est une haine à mort entre vous.

Le Nabab resta une minute interdit. Ce nom d’Hemerlingue, jeté tout à coup dans sa joie, lui rappelait le seul épisode fâcheux de la soirée :

« À celui-là comme aux autres, dit-il d’une voix attristée, je n’ai jamais fait que du bien. Nous avons commencé ensemble, misérablement. Nous avons grandi, prospéré côte à côte. Quand il a voulu partir de ses propres ailes, je l’ai toujours aidé, soutenu de mon mieux. C’est moi qui lui ai fait avoir dix ans de suite les fournitures de la flotte et de l’armée ; presque toute sa fortune vient de là. Puis un beau matin, cet imbécile de Bernois à sang lourd ne va-t-il pas se toquer d’une odalisque que la mère du bey avait fait chasser du harem ? La drôlesse était belle, ambitieuse, elle s’est fait épouser, et naturellement, après ce beau mariage, Hemerlingue a été obligé de quitter Tunis… On lui avait fait croire que j’excitais le bey à lui fermer la principauté. Ce n’est pas vrai. J’ai obtenu, au contraire, de Son Altesse, qu’Hemerlingue fils — un