Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/93

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enfant de sa première femme — resterait à Tunis pour surveiller leurs intérêts en suspens, pendant que le père venait à Paris fonder sa maison de banque… Du reste, j’ai été bien récompensé de ma bonté… Lorsque, à la mort de mon pauvre Ahmed, le mouchir, son frère, est monté sur le trône, les Hemerlingue, rentrés en faveur, n’ont cessé de me desservir auprès du nouveau maître. Le bey me fait toujours bon visage ; mais mon crédit est ébranlé. Eh bien ! malgré cela, malgré tous les mauvais tours qu’Hemerlingue m’a joués, qu’il me joue encore, j’étais prêt ce soir à lui tendre la main… Non seulement ce misérable-là me la refuse ; mais il me fait insulter par sa femme, une bête sauvage et méchante, qui ne me pardonne pas de n’avoir jamais voulu la recevoir à Tunis… Savez-vous comment elle m’a appelé tout à l’heure en passant devant moi ? « Voleur et fils de chien… » Pas plus gênée que ça, l’odalisque… C’est-à-dire que si je ne connaissais pas mon Hemerlingue aussi capon qu’il est gros… Après tout, bah ! qu’ils disent ce qu’ils voudront. Je me moque d’eux. Est-ce qu’ils peuvent contre moi ? Me démolir près du bey ? Ça m’est égal. Je n’ai plus rien à faire en Tunisie, et je m’en retirerai le plus tôt possible… Il n’y a qu’une ville, qu’un pays au monde, c’est Paris, Paris accueillant, hospitalier, pas bégueule, où tout homme intelligent trouve du large pour faire de grandes choses… Et moi, maintenant, voyez-vous, de Géry, je veux faire de grandes choses… J’en ai assez de la vie de mercanti… J’ai travaillé pendant vingt ans pour l’argent ; à présent je suis goulu de gloire, de considération, de renommée. Je veux être quelqu’un dans l’histoire de mon pays, et cela me sera facile. Avec mon immense fortune, ma connaissance des hommes,