fois par semaine, les jours de promenade, quand les divisions passaient devant le café de l’Évêché, j’étais sûr de trouver M. de Boucoyran, le père, planté devant la porte, au milieu d’un groupe d’officiers de la garnison, tous nu-tête et leurs queues de billard à la main. Ils nous regardaient venir de loin avec des rires goguenards ; puis, quand la division était à portée de la voix, le marquis criait très fort, en me toisant d’un air de provocation : « Bonjour, Boucoyran ! »
— Bonjour, mon père ! » glapissait l’affreux enfant du milieu des rangs. Et les officiers, les élèves, les garçons du café, tout le monde riait…
Le « Bonjour, Boucoyran ! » était devenu un supplice pour moi, et pas moyen de m’y soustraire. Pour aller à la Prairie, il fallait absolument passer devant le café de l’Évêché, et pas une fois mon persécuteur ne manquait au rendez-vous.
J’avais par moments des envies folles d’aller à lui et de le provoquer ; mais deux raisons me retenaient : d’abord toujours la peur d’être chassé, puis la rapière du marquis, une grand diablesse de colichemarde qui avait fait tant de victimes lorsqu’il était dans les gardes-du-corps.
Pourtant, un jour, poussé à bout, j’allai trouver Roger, le maître d’armes et, de but en blanc, je lui déclarai ma résolution de me mesurer avec le marquis. Roger, à qui je n’avais pas parlé depuis longtemps, m’écouta d’abord avec une certaine réserve ; mais, quand j’eus fini, il eut un mouvement d’effusion et me serra chaleureusement les deux mains.