Page:Daudet - Le Petit Chose, 1868.djvu/138

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bien le moins qu’on attendît jusqu’au dernier moment avant de prendre un parti si terrible… Cette dernière réflexion parut le toucher. Il consentit à retarder de quelques heures sa visite au principal et ce qui devait s’ensuivre.

Sur ces entrefaites, la cloche sonna ; nous nous embrassâmes, et je descendis à l’étude.

Ce que c’est que de nous ! J’étais entré dans ma chambre désespéré, j’en sortis presque joyeux… Le petit Chose était si fier d’avoir sauvé la vie à son bon ami le maître d’armes !

Pourtant, il faut bien le dire, une fois assis dans ma chaire et le premier mouvement de l’enthousiasme passé, je me mis à faire des réflexions. Roger consentait à vivre, c’était bien ; mais moi-même, qu’allais-je devenir après que mon beau dévouement m’aurait mis à la porte du collège ?

La situation n’était pas gaie, je voyais déjà le foyer singulièrement compromis, ma mère en larmes et M. Eyssette bien en colère. Heureusement je pensai à Jacques ; quelle bonne idée sa lettre avait eue d’arriver précisément le matin ! C’était bien simple, après tout, ne m’écrivait-il pas que dans son lit il y avait place pour deux ? D’ailleurs, à Paris, on trouve toujours de quoi vivre…

Ici, une pensée horrible m’arrêta : pour partir, il fallait de l’argent ; celui du chemin de fer d’abord, puis cinquante-huit francs que je devais au portier, puis dix francs qu’un grand m’avait prêtés, puis des sommes énormes inscrites à mon nom sur le