Page:Daudet - Le Petit Chose, 1868.djvu/159

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mes yeux l’image, toute l’image, de ces lieux que je ne devais plus jamais revoir. C’est ainsi que je traversai les longs corridors à hautes fenêtres grillagées où les yeux noirs m’étaient apparus pour la première fois. Dieux vous protège, mes chers yeux noirs !… Je passai le cabinet du principal, avec sa double porte mystérieuse ; puis, à quelques pas plus loin, devant le cabinet de M. Viot… Là, je m’arrêtai subitement… Ô joie ! ô délices ! les clefs, les terribles clefs pendaient à la serrure, et le vent les faisait doucement frétiller. Je les regardai un moment, ces clefs formidables, je les regardai avec une sorte de terreur religieuse ; puis, tout à coup, une idée de vengeance me vint. Traîtreusement, d’une main sacrilège, je retirai le trousseau de la serrure, et, le cachant sous ma redingote je descendis l’escalier quatre à quatre.

Il y avait au bout de la cour des moyens un puits très profond. J’y courus d’une haleine… À cette heure la cour déserte ; la fée aux lunettes n’avait pas encore relevé son rideau. Tout favorisait mon crime. Alors, tirant les clefs de dessous mon habit, ces misérables clefs qui m’avaient tant fait souffrir, je les jetais dans le puits de toutes mes forces… Frinc ! frinc ! frinc ! Je les entendis dégringoler, rebondir contre les parois et tomber lourdement dans l’eau qui se referma sur elles ; ce forfait commis, je m’éloignai souriant.

Sous le porche, en sortant du collège, la dernière personne que je rencontrai fut M. Viot, mais