Page:Daudet - Le Petit Chose, 1868.djvu/179

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insolente. Eh bien ! et moi je ne suis donc pas du monde ?

À la fin, je me trouvais si ridicule avec mon éternel « De la part du curé de Saint-Nizier, » que je n’osais plus dire de la part de qui je venais. Mais le grand ara bleu du perron ne me laissais jamais partir sans me crier, avec une gravité imperturbable :

— Monsieur est sans doute la personne qui vient de la part du curé de Saint-Nizier ?

Et cela faisait beaucoup rire d’autres aras bleus qui flânaient par là dans les cours. Tas de coquins ! Si j’avais pu leur allonger quelques coups de trique de ma part à moi, et non de celle du curé de Saint-Nizier !

Il y avait dix jours environ que j’étais à Paris, lorsqu’un soir, en revenant l’oreille basse d’une de ces visites à la rue Saint-Guillaume — je m’étais juré d’y aller jusqu’à ce qu’on me mît à la porte, — je trouvai chez mon portier une petite lettre. Devine de qui ?… Une lettre du comte, mon cher, du comte de la rue de Lille, qui m’engageait à me présenter sans retard chez son ami le marquis d’Hacqueville. On demandait un secrétaire… Tu penses, quelle joie ! et aussi quelle leçon ! Cet homme froid et sec, sur lequel je comptais si peu, c’était justement lui qui s’occupait de moi, tandis que l’autre, si accueillant, me faisait faire depuis huit jours le pied de grue sur son perron, exposé, ainsi que le curé de Saint-Nizier, aux rires insolents des aras bleu et or… C’est là la vie, mon cher ; et à Paris on l’apprend vite.