Page:Daudet - Le Petit Chose, 1868.djvu/215

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elle expédiait ce gros ouvrages et, par-dessus le marché, montrait tout le temps aux deux vieillards son joli rire, qui valait plus de douze francs à lui tout seul… À force de belle humeur et de vaillance, cette courageuse montagnarde finit par séduire ses patrons. On s’intéressa à elle ; on la fit causer ; puis un jour, spontanément, — les cœurs les plus secs ont parfois de ces soudaines floraison de bonté, — le vieux Lalouette offrit de prêter un peu d’argent à Pierrotte pour qu’il pût entreprendre un commerce à son l’idée.

Voici quelle fut l’idée de Pierrotte : ils se procura un vieux bidet, une carriole, et s’en alla d’un bout de Paris à l’autre en criant de toutes ses forces : « Débarrassez-vous de ce qui vous gêne ! » Notre finaud de Cévenol ne vendait pas, il achetait… quoi ?… tout… Les pots cassés, les vieux fers, les papiers, les bris de bouteille, les meubles hors de service qui ne valent pas la peine d’être vendus, les vieux galons dont les marchands ne veulent pas, tout ce qui ne vaut rien et qu’on garde chez soi par habitude, par négligence, parce qu’on ne sait qu’en faire, tout ce qui gêne !… Pierrotte ne faisait fi de rien, il achetait tout, ou du moins il acceptait tout ; car le plus souvent on ne lui vendait pas, on lui donnait, on se débarrassait. Débarrassez-vous de ce qui vous gêne !

Dans le quartier Montmartre, le Cévenol était très populaire. Comme tous les petits commerçants ambulants qui veulent faire trou dans le brouhaha de la rue, il avait adopté une mélopée personnelle et