Page:Daudet - Le Petit Chose, 1868.djvu/345

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je ne la revis pas. Un monsieur de Huit-à-Dix quelconque lui fit sans doute oublier son Dani-Dan, et jamais plus, jamais plus, je n’entendis parler d’elle, ni de son kakatoës, ni de sa négresse Coucou-Blanc.

Un soir, au retour d’une de mes courses mystérieuses, j’entrai dans la chambre avec un cri de joie : « Jacques ! Jacques ! Une bonne nouvelle. J’ai trouvé une place… Voilà dix jours que, sans t’en rien dire, je battais le pavé à cette intention… Enfin, c’est fait. J’ai une place… Dès demain, j’entre comme surveillant général à l’institution Ouly, à Montmartre, tout près de chez nous… J’irai de sept heures du matin à sept heures du soir… Ce sera beaucoup de temps passé loin de toi, mais au moins je gagnerai ma vie, et je pourrai te soulager un peu. »

Jacques releva sa tête de dessus ses chiffres, et me répondit assez froidement : « Ma foi ! mon cher, tu ferais bien de venir à mon secours… La maison serait trop lourde pour moi seul… Je ne sais pas ce que j’ai, mais depuis quelque temps je me sens tout patraque. » Un violent accès de toux l’empêcha de continuer. Il laissa tomber sa plume d’un air de tristesse et vint se jeter sur le canapé… De le voir allongé là-dessus, pâle, horriblement pâle, la terrible vision de mon rêve passa encore une fois devant mes yeux, mais ce ne fut qu’un éclair… Presque aussitôt ma mère Jacques se releva et se mit à rire en voyant ma mine éffarée :

— Ce n’est rien, nigaud ! C’est un peu de fati-