Page:Daudet - Le Petit Chose, 1868.djvu/349

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un gros personnage court et pattu, qui paraissait avoir beaucoup de peine à boutonner ses gants.

Je voulais m’excuser et passer outre, mais l’hôtelier me retint :

— Un mot, monsieur Daniel.

Puis, se tournant vers l’autre, il ajouta :

— C’est le jeune homme en question. Je crois que vous feriez bien de le prévenir…

Je m’arrêtais fort intrigué. De quoi ce gros bonhomme voulait-il me prévenir ? Que ses gants étaient beaucoup trop étroits pour ses pattes ? Je le voyais bien parbleu !…

Il y eut un moment de silence et de gêne. M. Pilois, le nez en l’air, regardait dans son figuier comme pour y chercher les figues qui n’y étaient pas. L’homme aux gants tirait toujours sur ses boutonnières… À la fin, pourtant, il se décida à parler ; mais sans lâcher son bouton, n’ayez pas peur.

— Monsieur, me dit-il, je suis depuis vingt ans médecin de l’hôtel Pilois, et j’ose affirmer…

Je ne le laissai pas achever sa phrase. Ce mot de médecin m’avait tout appris. « Vous venez pour mon frère, lui demandai-je en tremblant… Il est bien malade, n’est-ce pas ? »

Je ne crois pas que ce médecin fût un méchant homme, mais, à ce moment-là, c’étaient ses gants surtout qui le préoccupaient, et sans songer qu’il parlait à l’enfant de Jacques, sans essayer d’amortir le coup, il me répondit brutalement : « S’il est malade ! je crois bien… Il ne passera pas la nuit. »