Page:Daudet - Le Petit Chose, 1868.djvu/368

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leurs pauvres mains glacées ?… Non ! non ! le petit Chose ne veut pas mourir. Il se cramponne à la vie, au contraire, et de toutes ses forces… On lui a dit que pour guérir plus vite, il ne fallait pas penser, — il ne pense pas ; qu’il ne fallait pas parler, — il ne parle pas ; qu’il ne fallait pas pleurer, — il ne pleure pas… C’est plaisir de le voir dans son lit, l’air paisible, les yeux ouverts, jouant pour se distraire avec les glands de l’édredon. Une vraie convalescence de chanoine…

Autour de lui, toute la maison Lalouette s’empresse silencieuse. Madame Eyssette passe ses journées au pied du lit, avec son tricot ; la chère aveugle a tellement l’habitude des longues aiguilles qu’elle tricote aussi bien que du temps de ses yeux. La dame de grand mérite est là, elle aussi ; puis, à tout moment on voit paraître à la porte la bonne figure de Pierrotte. Il n’y a pas jusqu’au joueur de flûte qui ne monte prendre des nouvelles quatre ou cinq fois dans le jour. Seulement, il faut bien le dire, celui-là ne vient pas pour le malade ; c’est la dame de grand mérite qui l’attire surtout… Depuis que Camille Pierrotte lui a formellement déclaré qu’elle ne voulait ni de lui ni de sa flûte, le fougueux instrumentiste s’est rabattu sur la veuve Tribou qui pour être moins riche et moins jolie que la fille du Cévenol, n’est pas cependant tout à fait dépourvue de charmes ni d’économies. Avec cette romanesque matrone, l’homme flûte n’a pas perdu son temps, à la troisième séance, il y avait déjà du mariage dans l’air, et l’on parlait vague-