Page:Daudet - Le Petit Chose, 1868.djvu/372

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c’est à peine s’ils ont eu le temps de se dire trois paroles ! — il s’approche d’eux et les regarde :

— Eh bien ?

— Ah ! Pierrotte, dit le petit Chose en lui tendant les mains, elle est aussi bonne que vous… elle m’a pardonné !

À partir de ce moment, la convalescence du malade marche avec des bottes de sept lieues… Je crois bien ! les yeux noirs ne bougent plus de la chambre. On passe les journées à faire des projets d’avenir. On parle de mariage, de foyer à reconstruire. On parle aussi de la chère mère Jacques, et son nom fait encore verser de belles larmes. Mais c’est égal ! il y a de l’amour dans l’ancienne maison Lalouette. Cela se sent. Et si quelqu’un s’étonne que l’amour puisse fleurir ainsi dans le deuil et dans les larmes, je lui dirai d’aller voir aux cimetières toutes ces jolies fleurettes qui poussent entre les fentes des tombeaux.

D’ailleurs, n’allez pas croire que la passion fasse oublier son devoir au petit Chose. Pour si bien qu’il soit dans son grand lit, entre madame Eyssette et les yeux noirs, il a hâte d’être guéri, de se lever, de descendre au magasin. Non, certes, que la porcelaine le tente beaucoup ; mais il languit de commencer cette vie de dévouement et de travail dont la mère Jacques lui a donné l’exemple. Après tout, il vaut encore mieux vendre des assiettes dans un passage, comme disait la tragédienne Irma, que balayer l’institution Ouly ou se faire siffler à Montparnasse. Quant à la Muse, on n’en parle plus.