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sant d’intelligence, m’attirait. Seulement on m’avait tant effrayé par le récit de ses bizarreries et de ses brutalités, que je n’osais pas aller vers lui. J’y allai cependant, et pour mon bonheur !

Voici dans quelles circonstances…

Il faut vous dire qu’en ce temps-là j’étais plongé jusqu’au cou dans l’histoire de la philosophie… Un rude travail pour le petit Chose !

Or certain jour, l’envie me vint de lire Condillac. Entre nous, le bonhomme ne vaut même pas la peine qu’on le lise ; c’est un philosophe pour rire, et tout son bagage philosophique tiendrait dans le chaton d’une bague à vingt-cinq sous ; mais, vous savez ! quand on est jeune, on a sur les choses et sur les hommes des idées tout de travers.

Je voulais donc lire Condillac. Il me fallait un Condillac coûte que coûte. Malheureusement, la bibliothèque du collège en était absolument dépourvue, et les libraires de Sarlande ne tenaient pas cet article-là. Je résolus de m’adresser à l’abbé Germane. Ses frères m’avaient dit que sa chambre contenait plus de deux mille volumes, et je ne doutais pas de trouver chez lui le livre de mes rêves. Mais ce diable d’homme m’épouvantait, et pour me décider à monter à son réduit ce n’était pas trop de tout mon amour pour M. de Condillac.

En arrivant devant la porte, mes jambes tremblaient de peur… Je frappai deux fois très-doucement.