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SOUVENIR D’UN CHEF DE CABINET

d’attente par le ministre, qui me revint les mains tendues, dans un bel élan d’expansion bordelaise :

« Je vous félicite, mon cher enfant ! »

Je le remerciai de sa sympathie ; puis, au risque de lui paraître idiot :

« Mais qui est-ce donc ? »

Je ne pouvais rester dans mon incertitude. Il y a tant de comtes à Paris, et le quai d’Orsay est si grand !

M. Ducos me regarda, stupéfait de ma mine ingénue.

« Comment ! vous ne savez pas ?… Mora, voyons… Le président du corps législatif. » Et quel autre, en effet, que ce grand sceptique de Mora, cet exquis sybarite qui affectait dans la vie de peser au même poids la politique, les affaires, la musique, l’amour, quel autre aurait pu choisir pour chef de son cabinet de vice-empereur un ténorino de salon, un amoureux d’opéra-comique ? Il est vrai que sous l’amateur de flonflons expertisait un subtil déchiffreur d’êtres, un très fort maquignon qui connaissait et conduisait les hommes encore mieux que ses écuries. Je ne fus pas long à m’en apercevoir.

Huit jours après ma rencontre avec Mora, nous nous installions, Ninette et moi, dans les dépendances qu’on appelle, au Palais-Bourbon, l’hôtel Feuchères, une délicieuse maisonnette