Page:Daudet - Sapho, 1884.djvu/67

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« Depuis, lancée dans le monde chic, elle a pris des amants au mois, à la semaine, et jamais d’artistes… Oh ! les artistes, elle en a une peur… J’étais le seul, je crois bien, qu’elle eût continué à voir… De loin en loin elle venait fumer sa cigarette à l’atelier. Puis j’ai passé des mois sans entendre parler d’elle, jusqu’au jour où je l’ai retrouvée en train de déjeuner avec ce bel enfant et lui mangeant des raisins sur la bouche. Je me suis dit : voilà ma Sapho repincée. »

Jean ne put en entendre davantage. Il se sentait mourir de tout ce poison absorbé. Après le froid de tout à l’heure, une brûlure lui tordait la poitrine, montait à sa tête bourdonnante et près d’éclater comme une tôle chauffée à blanc. Il traversa la chaussée, en chancelant sous les roues des voitures. Des cochers criaient. À qui en avaient-ils, ces imbéciles ?

En passant sur le marché de la Madeleine, il fut troublé par une odeur d’héliotrope, l’odeur préférée de sa maîtresse. Il pressa le pas pour la fuir, et furieux, déchiré, il pensait tout haut : « ma maîtresse !… oui, une belle