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Page:Daudet - Souvenirs d’un homme de lettres, 1889.djvu/81

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prendre notre petit poste, — le trouvant sur ses gardes et à l’abri d’un coup de main, — s’étaient retirés prudemment ; et nous eûmes juste le temps de les voir disparaître au bout de la plaine, silencieux et noirs comme des cancrelats. Toutefois, dans la crainte d’une nouvelle attaque, on nous fit rester à la gare de Rueil, et nous achevâmes la nuit debout et l’arme au pied, les uns sur la chaussée, les autres dans la salle d’attente…

Pauvre gare de Rueil que j’avais connue si joyeuse, si claire, gare aristocratique des canotiers de Bougival, où les étés parisiens promenaient leurs ruches de mousseline et leurs toquets à aigrettes, comment la reconnaître dans cette cave lugubre, dans ce tombeau blindé, matelassé, sentant la poudre, le pétrole, la paille moisie, où nous parlions tout bas serrés les uns contre les autres et n’ayant d’autre lumière que le feu de nos pipes et le filet de jour venu du coin des officiers ?… D’heure en heure, pour nous distraire, on nous envoyait par escouades tirailler le long de la Seine ou faire