Aller au contenu

Page:Daudet - Tartarin sur les Alpes, 1901.djvu/142

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Alors, quand il vit l’émotion, l’énervement à son comble, Bompard termina son récit avec un grand geste de pitié vers les débris en bocaux comme des pièces à conviction : « Et voilà, messieurs et chers concitoyens, tout ce que j’ai pu retrouver de notre illustre et bien-aimé président… Le reste, dans quarante ans, le glacier nous le rendra. »

Il allait expliquer, pour les personnes ignorantes, la récente découverte faite sur la marche régulière des glaciers : mais le grincement de la petite porte du fond l’interrompit, quelqu’un entrait. Tartarin, plus pâle qu’une apparition de Home, juste en face de l’orateur.

« Vé ! Tartarin !…

Té ! Gonzague !… »

Et cette race est si singulière, si facile aux histoires invraisemblables, aux mensonges audacieux et vite réfutés, que l’arrivée du grand homme dont les fragments gisaient encore sur le bureau, ne causa dans la salle qu’un médiocre étonnement.

« C’est un malentendu, allons, » dit Tartarin soulagé, rayonnant, la main sur l’épaule de l’homme qu’il croyait avoir tué.

« J’ai fait le Mont-Blanc des deux côtés. Monté d’un versant, descendu de l’autre ; et c’est ce qui a permis de croire à ma disparition. »

Il n’avouait pas qu’il avait fait le second versant sur le dos.

« Sacré Bompard ! dit Bézuquet, il nous a tout de même retournés avec son histoire… » Et l’on riait, on se serrait les mains pendant qu’au dehors la fanfare, qu’on essayait en vain de faire taire, s’acharnait à la marche funèbre de Tartarin.

« Vé Costecalde, comme il est jaune !… » murmurait Pascalon à Bravida en lui montrant l’armurier qui se levait pour céder le fauteuil à l’ancien président dont la bonne face rayonnait. Bravida, toujours sentencieux, dit tout bas en regardant Costecalde déchu, rendu à son rang subalterne : « La fortune de l’abbé Mandaire, de curé il devint vicaire. »

Et la séance continua.