Page:Daudet - Tartarin sur les Alpes, 1901.djvu/27

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boussole en breloque à son large cordon de montre ; mais, soit l’altitude ou les variations de la température, l’aiguille semblait affolée. Et nul moyen de s’orienter avec l’épais brouillard jaune empêchant de voir à dix pas, traversé depuis un moment d’un verglas fourmillant et glacial qui rendait la montée de plus en plus difficile.

Tout à coup il s’arrêta, le sol blanchissait vaguement devant lui… Gare les yeux !…

Il arrivait dans la région des neiges…

Tout de suite il tira ses lunettes de leur étui, les assujettit solidement. La minute était solennelle. Un peu ému, fier tout de même, il sembla à Tartarin que, d’un bond, il s’était élevé de 1000 mètres vers les cimes et les grands dangers.

Il n’avança plus qu’avec précaution, rêvant des crevasses et des rotures dont lui parlaient ses livres et, dans le fond de son cœur, maudissant les gens de l’auberge qui lui avaient conseillé de monter tout droit et sans guides. Au fait, peut-être s’était-il trompé de montagne ! Plus de six heures qu’il marchait, quand le Rigi ne demandait que trois heures. Le vent soufflait, un vent froid qui faisait tourbillonner la neige dans la brume crépusculaire.

La nuit allait le surprendre. Où trouver une hutte, seulement l’avancée d’une roche pour s’abriter ? Et tout à coup il aperçut devant lui, sur le terre-plein sauvage et nu, une espèce de chalet en bois, bandé d’une pancarte aux lettres énormes qu’il déchiffra péniblement : « PHO…TO…GRA…PHIE DU RI…GI…KULM ». En même temps, l’immense hôtel aux trois cents fenêtres lui apparaissait un peu plus loin entre les lampadaires de fête qui s’allumaient dans le brouillard.