Page:Daudet - Tartarin sur les Alpes, 1901.djvu/40

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« L’arbre préféré ? — le baobab.

« L’odeur ? — de la poudre.

« L’écrivain ? — Fenimore Cooper.

« Ce que j’aurais voulu être ? — Guillaume Tell… »

Et dans la pharmacie, il n’y avait qu’une voix pour s’écrier : « C’est Tartarin ! »

Pensez s’il était heureux et si le cœur lui battait d’arriver devant la chapelle commémorative élevée par la reconnaissance de tout un peuple, il lui semblait que Guillaume Tell, en personne, allait lui ouvrir la porte, encore trempé de l’eau du lac, son arbalète et ses flèches à la main.

« On n’entre pas… Je travaille… Ce n’est pas le jour… » cria de l’intérieur une voix forte doublée par la sonorité des voûtes.

« Monsieur Astier-Réhu, de l’Académie Française !…

— Herr Doctor Professor Schwanthaler !…

— Tartarin de Tarascon !… »

Dans l’ogive au-dessus du portail, le peintre, grimpé sur un échafaudage, parut presque à mi-corps, en blouse de travail, la palette à la main.

« Mon famulus descend vous ouvrir, messieurs, dit-il avec une intonation respectueuse.

— J’en étais sûr, pardi ! pensa Tartarin… Je n’avais qu’à me nommer. »

Toutefois il eut le bon goût de se ranger et, modestement, n’entra qu’après tout le monde.

Le peintre, gaillard superbe, la tête rutilante et dorée d’un artiste de la Renaissance, reçut ses visiteurs sur l’escalier de bois qui menait à l’étage provisoire installé pour les peintures du haut de la chapelle. Les fresques représentant les principaux épisodes de la vie de Guillaume Tell, étaient terminées, moins une, la scène de la pomme sur la place d’Altorf. Il y travaillait en ce moment, et son jeune famoulous, — comme il disait, — les cheveux à l’archange, les jambes et les pieds nus sous son sarrau moyen âge, lui posait l’enfant de Guillaume Tell.

Tous ces personnages archaïques, rouges, verts, jaunes, bleus, empilés plus hauts que nature dans d’étroites rues, sous des poternes du temps, et faits pour être vus à distance, impressionnaient les spectateurs un peu tristement, mais on