— Oui, dit Tartarin sans enthousiasme… C’est un garçon pas maladroit… Mais nous avons mieux que lui. »
À bon entendeur, salut ! puis, d’un ton de mélancolie : « Pas moins, ce sont de fortes émotions que ces chasses aux grands fauves. Quand on ne les a plus, l’existence semble vide, on ne sait de quoi la combler. »
Ici, Manilof, qui comprenait le français sans le parler et semblait écouter le Tarasconnais très curieusement, son front d’homme du peuple coupé d’une grande ride en cicatrice, dit quelques mots en riant à ses amis.
« Manilof prétend que nous sommes de la même confrérie, expliqua Sonia à Tartarin… Nous chassons comme vous les grands fauves.
— Té ! oui, pardi… les loups, les ours blancs…
— Oui, les loups, les ours blancs et d’autres bêtes nuisibles encore… »
Et les rires de recommencer, bruyants, interminables, sur un ton aigu et féroce cette fois, des rires qui montraient les dents et rappelaient à Tartarin en quelle triste et singulière compagnie il voyageait.
Tout à coup, les voitures s’arrêtèrent. La route devenait plus raide et faisait à cet endroit un long circuit pour arriver en haut du Brünig que l’on pouvait atteindre par un raccourci de vingt minutes à pic dans une admirable forêt de hêtres. Malgré la pluie du matin, les terrains glissants et détrempés, les voyageurs, profitant d’une éclaircie, descendaient presque tous, s’engageaient à la file dans l’étroit chemin de « schlittage ».
Du landau de Tartarin, qui venait le dernier, les hommes mettaient pied à terre ; mais Sonia, trouvant les chemins trop boueux, s’installait au contraire, et, commue l’Alpiniste descendait après les autres, un peu retardé par son attirail, elle lui dit à mi-voix : « Restez donc, tenez-moi compagnie », et d’une façon si câline ! Le pauvre homme en resta bouleversé, se forgeant un roman aussi délicieux qu’invraisemblable qui fit battre son vieux cœur à grands coups.
Il fut vite détrompé en voyant la jeune fille se pencher anxieuse, guetter Bolibine et l’Italien causant vivement à l’entrée de la schlitte, derrière Manilof et Boris déjà en marche. Le faux ténor hésitait. Un instinct semblait l’avertir