Page:Daudet - Trente ans de Paris, Flammarion, 1889.djvu/266

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fum de gros tabac, de soupe aux choux et de philosophie.

Plus loin, des vareuses, des bérets, des cris d’animaux, des charges, des calembours ; ce sont des artistes, des sculpteurs, des peintres. Au milieu d’eux, une tête fine et douce, Alexandre Leclerc, dont les Prussiens ont détruit les fresques fantasques qui couvraient les murs du cabaret du Moulin-de-Pierre, à Châtillon.

Celui-là, on le trouva pendu, un jour ; pendu assis et tirant sur la corde, au milieu d’un fouillis de tombes, tout en haut du Père-Lachaise, à l’endroit d’où Balzac montre Paris immense à Rastignac. Dans mes souvenirs de la brasserie, Alexandre Leclerc est toujours joyeux, il chante des chansons picardes ; et ces airs de pays, ces couplets rustiques répandent autour de sa table, dans l’air saturé de tabac, je ne sais quelle poésie pénétrante de blés et de plaines.

Et les femmes que j’oubliais, car il y a là des femmes, d’anciens modèles, de belles personnes un peu fanées. Têtes singulières et noms étranges, sobriquets qui sentent