Cette habitude de raconter mes livres dont je parlais plus haut, est chez moi un procédé de travail. Tout en expliquant mon œuvre aux autres, j’élucide ainsi mon sujet, je m’en pénètre, j’essaie sur l’auditeur les passages qui porteront, et le discours m’amène des surprises, des trouvailles que je retiens grâce à une excellente mémoire. Malheur au visiteur qui m’interrompt dans ma fièvre de création. Je continue impitoyablement devant lui, parlant au lieu d’écrire, rattachant tant bien que mal, pour qu’elles lui soient intelligibles, les différentes parties de mon roman, et malgré l’ennui, la distraction visible des regards qui essayent de fuir une improvisation abondante, je bâtis mon chapitre, je le développe en paroles. À Paris, dans mon cabinet de travail, à la campagne, dans mes promenades à travers champs ou en bateau, j’ai fatigué ainsi bien des camarades qui ne se doutaient guère de leur collaboration muette. Mais c’est ma femme qui a le plus supporté ces redites du travail parlé, du sujet tourné et retourné vingt fois de suite : « Que pense-