existe deux séries de nombres entiers : la série mécanique, répétitive ou additive, obtenue par addition répétée de l’unité : 1, 2, 3, 4, 5… — série qui peut être produite sans aucune pensée, par une machine à calculer, par exemple ; et la série constructive des nombres dont l’inter-multiplication produit tous les autres et qui ne peuvent eux-mêmes être produits par multiplication, nombres dont chacun est un fait absolument nouveau, imprévisible, et que l’on nomme fort justement « premiers » ; cette série, 1, 2, 3, 5, 7, 11, 13… ne peut être produite que par l’action d’une pensée ; aucune machine ne pourra jamais fournir une série indéfinie de nombres premiers.
« C’est donc dans un système de coordonnées rectangulaires, portant en abscisses la série des nombres entiers 1, 2, 3, 4, 5… ou série mécanique, et en ordonnées la série des nombres premiers 1, 2, 3, 5, 7, 11… ou série créatrice, que l’activité de la conscience va inscrire ses courbes de variations. Ces courbes, à leur tour, vont se composer avec les autres coordonnées de notre continuum, où elles dessineront la figure véritable des phénomènes, telle qu’elle résulte de l’action réciproque du connaissant et du connu. »
C’était d’une logique irréprochable et, si je m’étais contenté d’écouter avec les oreilles de mon intellect, j’aurais sûrement été enchanté à tout jamais par le discours de la sirène. Mais, me souvenant des compagnons d’Ulysse, je me fourrai dans ces oreilles-là d’épais tampons de bon sens et, tendant une autre oreille — l’oreille de confiance, la bonne — je n’entendis que le bourdonnement du silence. Mon prétendu mathématicien ne pensait pas : même pas quand il récitait la série des nombres premiers, qu’il savait par cœur jusqu’à 101. (Mais est-ce bien « par cœur » qu’il faut dire ? Allons, tant pis, l’expression est trop bien passée dans l’usage).