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Entre les laboratoires des Scients et les retraites des Sophes vont et viennent des Explicateurs ambigus, repoussés tour à tour par les uns et les autres. Ils flattent les Scients en arborant la règle et la balance et les Sophes en affichant le mépris de l’immédiat et du proche. Certains, dont m’avait parlé le professeur Mumu, se donnent le titre de psychographes ; le mot vient de psyché, sorte de grand miroir basculant, grâce auquel ils observent sans être vus. Le dictionnaire de poche que l’infirmier m’avait laissé définissait la « psychographie » comme la « science des résidus de la pensée d’autrui » et la « pensée » comme « tout ce qui, dans l’homme, n’a pas encore été pesé, compté et mesuré ». Aussi, pour gagner les bonnes grâces des Scients, les psychographes cherchent les traces de la « pensée » partout où la pensée fait le plus défaut, ou du moins partout où ils croient qu’elle fait défaut, chez les enfants, chez les fous et jusque chez les animaux. L’être humain adulte et normal ne les intéresse guère, parce qu’il faut le faire pour le connaître et qu’ils veulent rester de « purs spéculateurs ».

C’est comme les politologues et les anthropographes qui, dans la paix de leurs cabinets, étudient, au travers des récits des explorateurs, des missionnaires et des historiens, les sociétés lointaines ou passées : Papous, Iroquois, Aruntas, Hittites, Accadiens, Archéosuisses, Sumériens, Hottentots, Proto-belges ou autres. De la société