Page:Daumal - La Grande beuverie, 1939.djvu/134

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fond d’en dessous et tomber au rez-de-chaussée où ils auraient contaminé tout le monde.

« J’ai dû prendre des mesures d’urgence. J’ai convoqué un comité de Compositeurs de Discours inutiles et j’ai pu leur persuader d’écrire un certain nombre d’ouvrages de propagande destinés à montrer à la jeunesse les voies les plus rapides vers la destruction.

« Les uns recommandèrent le suicide brutal, par la corde, le revolver, la noyade ou autres procédés ; ils eurent quelques succès parmi de jeunes intellectuels prédisposés, mais cela ne suffisait pas.

« D’autres préconisèrent le suicide lent par les poisons ; qui en vers, qui en prose, ils chantèrent, souvent avec un grand talent, la momification béate par l’opium, la transmutation théâtrale et tourbillonnante de tout par le haschich, le vertige fourmillant et respiratoire de la cocaïne, l’ahurissement métaphysique de l’éther et les effets désintégrants de quelques autres substances. Ce fut une réussite, et qui dure encore. L’industrie et le commerce de ces drogues prospèrent toujours, et les ouvrages poétiques qui les encouragent se vendent comme des petits pains.

« D’autres littérateurs composèrent des traités, prétendument traduits de langues orientales, où était expliqué l’art de devenir rapidement neurasthénique, névropathe, cachexique, déminéralisé, phtisique et finalement cadavre par la pratique de régimes alimentaires et d’exercices respiratoires appropriés. Mais tout cela n’était efficace qu’auprès de la jeunesse dite intellectuelle ou artistique, et les autres grouillaient toujours.

« C’est alors que j’ai fait appel à quelques chefs de Bougeotteurs qui, sur mes indications, se sont mis à organiser la destruction des jeunes. La méthode est très simple : on prend les enfants au moment où leur intelligence n’est pas encore développée, où leurs passions obéissent encore au moindre stimulant ; on les fait vivre