Page:Dax - Sans asile, paru dans la Revue populaire, Montréal, mai 1919.djvu/26

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grand désir de parler. Quant à vous, madame, il doit vous tarder de connaître l’explication que je vous dois. Ce que je vous ai écrit était bizarre : j’étais dans un tel état d’esprit ?…

…Si mes projets ont été brutaux, pardonnez-les-moi.

…Si vous saviez combien j’ai lutté, tout ce que j’ai souffert avant de vous les adresser.

Malcie l’interrompit.

— Avant tout, dit-elle, voulez-vous me dire comment vous m’avez connue. D’après votre lettre, il y a longtemps que vous me connaissez…

Lentement, les paupières du peintre se rapprochèrent.

Un mot, un seul mot, la réponse à cette question qu’elle lui posait, le roman était connu et toutes les explications se trouvaient données.

Il hésita.

Sa volonté et son cœur luttèrent.

Eh bien, non, puisqu’il s’était promis de le lui faire connaître le roman, il le ferait, mais avec de grandes précautions, avec d’infinis ménagements.

La faire souffrir ?

Oh ! non !

Faire tomber les mots avec brutalité sur ce cœur bon, généreux, compatissant ?

Encore moins.

Ce serait assez de ce qu’il ne pourrait éviter.

Avec un sourire forcé, il répondit :

— Je répondrai à cela comme à tout ce que vous vaudrez bien me demander. Promettez, toutefois, que cette question arrive en dernier.

— En dernier ?

— Oui.

Malcie se renversa sur sa chaise.

— Dans ce cas, dit-elle gentiment, puisque je ne dois pas intervertir l’ordre des choses, je ne demanderai rien. Parlez. Cependant que le récit ne soit pas trop triste. Il ne faut plus de tristesse, dans l’atelier.

Son regard courait sur les jolis paysages, sur les canards qui s’ébrouaient dans l’air, sur les amoureux qui, sur les bottes de foin, se contaient fleurette… et elle cherchait la toile que, la veille, elle avait aperçue, voilée sur le chevalet.

Toile et cadre avaient disparu.

Sur la tablette reposait une marine d’après nature.

— Je ne puis affirmer que ce sera très gai, répondit Roger. Cela ne peut pas l’être. Mais d’avance, et quoique je dise, vous pouvez être sûre que le récit me soulagera. Déjà les plus grands points noirs sont atténués.

— Alors, j’écoute.

Il détourna les yeux.

Il avait cru la chose facile. Au moment de commencer, toutes les difficultés s’amoncelaient.

Pourtant, il ne pouvait pas abuser de la patience de la jeune femme.

D’un autre côté, plus tôt, il aurait fini, plus vite, il serait soulagé.

Il commença :

— J’ai eu une enfance assez calme.

« Je suis né d’un amour illégitime.

« Partout, ma situation dans la société est celle d’une épave, celle de ces pauvres êtres auxquels personne, ou à peu près, ne s’intéresse.

« J’ai été élevé dans les environs de Paris par une brave femme qui s’était attachée à moi, et avec qui j’ai vécu jusque l’âge de dix-sept ans.

« Elle est morte en me laissant toute sa fortune ; quinze cents francs, plus une lettre ou plutôt une sorte de testament que lui avait confié mon père pour qu’elle me le remit lorsque j’aurais l’âge d’homme.

« De cela, elle ne m’avait pas dit un mot.

« J’ai trouvé le papier précieux épinglé aux trois obligations qu’elle me destinait.

— Votre père vit-il ?

— Il est mort.

— Et votre mère, interrogea Malcie captivée ?

— Elle vit.