Page:Dax - Sans asile, paru dans la Revue populaire, Montréal, mai 1919.djvu/66

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— Il ne remettra pas les pieds ici.

— Je l’aimerai quand même.

— Alors, tu es folle !

— Non, mais je crois que ce serait une infamie de consentir à un mariage autre qu’avec celui vers qui je me sens attirée.

— Pour cette union, tu peux en faire ton deuil.

Un silence.

— On ne peut pas sortir de là, riposta encore Mme Méen. Il faudra choisir. Tes préférences, tes goûts ou les miens, ce qui équivaut à : ta mère ou le peintre Roger. Roger qui ? Personne n’a jamais su…

— Maman, tu es surprise ; tu ne t’attendais pas. Ne m’en veuille pas, je t’en prie, de mon aveu. J’aurais pu agir différemment : refuser sans explication.

— C’est cela de la fourberie !

— J’aurais évité cette scène pénible, regrettable… Garde-moi rancune, si tu le veux, de mon silence, mais ne déverse pas sur lui ton courroux. Doit-il être responsable de fautes qui ne lui sont pas personnelles ?

— La voilà qui prend sa défense !… Oh ! non, jamais ! affirma encore la mère avec un geste énergique.

— Pourquoi le recevais-tu ? pourquoi — il y a cinq minutes encore — t’intéressais-tu à ses succès ? l’encourageais-tu ? te réjouissais-tu d’une chance ?

La mère évita de répondre.

Elle continua comme si elle ne parlait qu’à elle-même :

— Un jeune homme à qui j’ai ouvert ma porte par compassion, par charité, pour appeler les choses par leur nom… Vrai, il y a de quoi rire !… Ma fille devenir la femme d’un garçon sans famille, sans nom, sans le sou !… Ton frère va être édifié !… C’est lui qui je pense, va se charger de l’évincement. Je vais l’informer dès sa rentrée.

Berthe tressaillit.

Un silence gros d’angoisses plana sur les deux femmes.

La pauvre enfant souffrait trop pour soutenir plus longtemps une discussion.

Elle crut qu’elle allait s’évanouir.

Elle balbutia :

— Écoute.

Mme Méen la considéra le regard toujours flamboyant.

— Tu m’as dit, n’est-ce pas, que tu ne consentirais jamais à ce mariage ?

— Je le répète, jamais !

— C’est bien décidé ?

— Absolument. Sur cette parole, et, quoi qu’il arrive, je ne reviendrai pas.

— Je t’ai affirmé que je n’avais pas dit un mot de mon affection à M. Roger.

La mère écoutait. Berthe ajouta :

— La famille Blégny attendra bien huit jours la réponse, je suppose.

— C’est un peu long, mais enfin !

— Eh bien, dans huit jours, je ferai connaître ma décision. Garde pour toi, seule, d’ici là, mon aveu.

…Me le promets-tu ?

— Tu m’imposes des conditions ?

— Non, mère, je ne t’impose rien. Je te demande simplement de laisser passer quelques jours dans le calme. Quelque chose de pénible plane sur nous en ce moment. Je souffre de ne pas avoir la même idée que toi. Nous souffrons toutes les deux. Attendons pour prendre une résolution. Il ne faut pas que nous nous repentions plus tard, de celle que nous prendrons. Je ne veux pas te causer du chagrin. Je réfléchirai. Toi aussi, dis, mère, tu réfléchiras !

— C’est fait. Il y a des choses auxquelles on ne doit pas consentir.

Berthe n’insista pas.

Elles se séparèrent.

Une fois seule, la jeune fille éclata en sanglots.

Une heure après, lorsque Maurice revint, sa mère ne put garder pour elle l’aveu de sa fille.

Elle traduisait son mécontentement par ses actes, son maintien, ses gestes saccadés, fiévreux.

— Tu ne t’attends pas à la communica-