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tion que je vais te faire, déclara-t-elle ironiquement. Les jours se suivent et ne se ressemblent pas. Hier, nous recevions pour ta sœur une demande honorable. Elle refuse. Elle a rêvé plus haut que cela. Un héros sans pareil.

…L’amour supplée à tout.

…Son idéal, c’est ton ami Roger.

Maurice la regarda.

— Cela t’étonne ? Il y a de quoi. Dans la vie, il faut s’attendre à tout.

…Maintenant, c’est à nous à agir… J’ai dit à ta sœur que je ne consentirais jamais à ce mariage. Elle m’a demandé huit jours pour réfléchir.

…J’attendrai jusque-là.

…En attendant, tu voudras bien signifier à ton ami de ne plus remettre les pieds ici.

Le regard du fils et de la mère se rencontrèrent.

— Je pense que tu trouves naturelle ma détermination.

Maurice interrogea :

— Je doute que Roger connaisse le sentiment de ma sœur.

— Elle le prétend.

— Maman, objecta le jeune homme avec beaucoup de calme, si Berthe t’a dit qu’elle avait gardé pour elle son amour, tu peux la croire.

— Vas-tu l’excuser ?

— Je n’approuve ni ne désapprouve. Ma sœur est franche, sincère. Compte sur ma parole. Quant à moi, tu m’embarrasses. Quel motif donner à mon ami pour l’éloigner d’ici s’il ignore que Berthe l’aime.

— Des prétextes ? Tu en trouveras dix, si tu le veux. Du reste, si tu n’agis pas toi-même, je m’en charge.

— Je te demanderai de ne rien brusquer. Je tiens à l’amitié de Roger. Il possède des qualités que je n’ai rencontrés chez aucun de mes camarades.

— J’admets qu’il reste ton ami, mais je ne veux pas, entends-tu, qu’un garçon sans le sou et sans nom entre dans notre famille.

— Puisque Berthe t’a demandé huit jours, patiente jusque-là.

…Je reconnais que Roger est pauvre, qu’il est isolé, mais, permets-moi de te dire qu’avec son talent — un talent qui tôt ou tard s’imposera, j’en suis sûr — si aucune ombre n’existait dans sa vie, Roger pourrait avoir des ambitions.

…Berthe n’est pas une révoltée. Laisse écouler la semaine. Tu verras ce qu’elle décidera.


IX

imprévu


À l’hôtel de la rue d’Aguesseau, les domestiques affolés courent de tous côtés.

Un docteur est là près du lit où râle la malade.

Il se sent impuissant. Les remèdes restent sans efficacité.

Fulbert vient de partir en hâte à la recherche d’une sommité médicale.

La concierge se tient sur le seuil de sa loge.

Elle offre ses services.

Dans l’hôtel, du haut en bas, des visages inquiets, des regards qui s’interrogent, des soupirs, des ombres qui circulent en attendant la minute suprême.

La nourrice et les enfants ont été éloignés.

Jean va et vient dans la chambre.

Il s’approche de son beau-père affalé dans un fauteuil. Devant la douleur muette du vieillard, Jean n’a pas le courage de dire un mot.

Il se dirige vers l’homme de science.

— Eh bien, docteur ?

Celui-ci se tait.

Impossible de se méprendre sur le silence.

Jean se retourne.

Les tapis assourdissent ses pas.

Dans la chambre où le drame lugubre se joue, la respiration, les hoquets seuls, de l’agonisante coupent le morne silence.

Tout à coup la porte s’ouvre.