Page:DeGuise - Le Cap au diable, 1863.djvu/17

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 18 —

protégés seulement par l’isolement et l’inhospitalité des parages qu’ils habitaient. Madame St.-Aubin se voyant seule, à bout de toutes ressources, et ne voulant plus être à charge du généreux Jean Renousse ainsi qu’à ses compagnons, prit la résolution de se rendre en Canada. En effet, de vagues rumeurs étaient parvenues que dans ces pays lointains un bon nombre d’Acadiens avaient, dans le voisinage de Montréal, fondés une petite colonie.

Jean Renousse, dans ces rapports avec les traitants anglais, avait appris d’une manière certaine qu’un vaisseau portant un certain nombre d’émigrants avait mis à la voile pour le Canada. D’après le nombre de jours qu’il était en mer, il ne tarderait pas à être en vue.



V


Que nos lecteurs nous permettent de les transporter au-delà de l’Océan. Nous sommes dans un port de mer : Voyons l’activité qui y règne. Des centaines de vaisseaux déchargent d’un côté du quai d’amples provisions de charbon et de colon ; d’autres, les riches soieries et les magnifiques produits de l’Orient. Tout le monde est à l’œuvre. Partout il y a joie, car il y a gain pour tous.

Mais d’où vient donc cette foule d’hommes en haillons, ces femmes amaigries et presque nues, ces pauvres enfants si frêles, si chétifs, qui occupent un tout petit espace du quai ? D’où viennent ces pleurs et ces gémissements à fendre l’âme ? Ces embrassements pleins de regrets et de tendresse ? Ah ! c’est qu’un père vient peut-être pour la dernière fois de presser dans ses bras ses enfants bien-aimés ! C’est que des amis viennent de dire un adieu peut-être éternel aux compagnons de leur enfance ! C’est que, pour la dernière fois, on a jeté un regard de douleur sur la vieille chaumière qui nous a vus naître ! C’est que, dans un dernier embrassement, nous avons échangé avec les amis émus, une dernière poignée de mains, que pour toujours, nous avons salué les côtes de l’Irlande, dont aucun de ses enfants ne peut parler sans verser une larme de regret ! Et ces malles, et ces paquets, que contiennent-ils, sinon les pauvres vêtements