Page:De Bougainville - Voyage autour du monde, 1771.djvu/48

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abondamment toutes les denrées nécessaires à la vie. J’en excepte le vin, qu’ils font venir d’Espagne ou qu’ils tirent de Mendoza, vignoble situé à deux cents lieues de Buenos Aires. Ces environs cultivés ne s’étendent pas fort loin ; si l’on s’éloigne seulement à trois lieues de la ville, on ne trouve plus que des campagnes immenses, abandonnées à une multitude innombrable de chevaux et de bœufs, qui en sont les seuls habitants. A peine, en parcourant cette vaste contrée, y rencontre-t-on quelques chaumières éparses, bâties moins pour rendre le pays habitable que pour constituer aux divers particuliers la propriété du terrain, ou plutôt celle des bestiaux qui le couvrent. Les voyageurs qui le traversent n’ont aucune retraite et sont obligés de coucher dans les mêmes charrettes qui les transportent et qui sont les seules voitures dont on se serve ici pour les longues routes. Ceux qui voyagent à cheval, ce qu’on appelle aller à la légère, sont le plus souvent exposés à coucher au bivouac au milieu des champs.

Tout le pays est uni, sans montagnes et sans autres bois que celui des arbres fruitiers. Situé sous le climat de la plus heureuse température, il serait un des plus abondants de l’univers en toutes sortes de productions s’il était cultivé. Le peu de froment et de maïs qu’on y sème y rapporte beaucoup plus que dans nos meilleures terres de France. Malgré ce cri de la nature, presque tout est inculte, les environs des habitations comme les terres les plus éloignées ; ou si le hasard fait rencontrer quelques cultivateurs, ce sont des nègres esclaves. Au reste, les chevaux et les bestiaux sont en si grande abondance dans ces campagnes que ceux qui piquent les bœufs, en prennent