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Sa barque est prête. Elle n’attend plus que la marée haute. On dénoue les amarres et quatre forts marins, s’attelant à la dernière, tirent le bateau vers le chenal. Le bruit rythmé de leurs sabots heurtant la pierre met un peu de variété aux lugubres pleurs de la mer et du vent. Je suis des yeux ceux qui s’en vont. Le patron me fait un signe d’adieu de sa lourde main.

Tout à coup le mousse se met à grimper le long des cordages. Étonné, je le regarde… Il a bientôt dépassé la dernière échelle et, se cramponnant à l’extrémité du grand mât, il redresse la petite croix hissée là-haut et qui allait tomber. Puis, leste, il redescend à la manœuvre qui l’attend sur le pont. Les hommes, un instant, ont cessé leurs rudes travaux. Silencieux, ils ont regardé faire cet enfant, puis, sans un mot, ils se sont remis à la tâche… et tout cela m’a vivement ému.

Voici les estacades. Les voiles s’arrondissent sous le vent, la barque se penche et vogue là-bas vers l’horizon brumeux. On la voit escalader les hautes lames, puis disparaître dans un précipice creusé par elles, puis remonter encore. Rapide comme une mouette, elle avance et bientôt ses voiles sont comme des ailes tendues vers le lointain. Puis le brouillard, qui flotte sur les eaux, la dérobe à mes yeux.

Le vent souffle avec plus de rage encore, la mer se moutonne et l’on voit au large de grosses masses d’écume lancer vers le ciel comme un suprême affront. Les lames vont à l’assaut de la jetée. Elles se tordent, s’entrelacent et s’écroulent en un formidable fracas.

Un jour lugubre passe et fait place à la nuit plus horrible encore…

Je suis sorti. Immobile près du phare, j’écoute ce