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aux fées qui hantent la fraîcheur des bois et des fontaines et s’endormait joyeux sur la paille des granges. Les bons fermiers le nourrissaient, car il était trop faible pour faire peur, trop gai pour faire mal.

L’hiver le revoyait à la ville, peinant par les ruelles sombres, hâve, famélique et grelottant. Les citadins étaient moins bons que les villageois, en ces temps révolus, et le pauvre hère s’endormait le ventre creux, sous les grands ponts déserts où la bise souffle, près du fleuve glacé. Là, dans l’ombre de l’arche protectrice, il rêvait de la douce moiteur des édredons et du luxe de tables chargées de dindes dorées et ruisselantes de sauce. C’étaient des songes splendides dont il s’éveillait, les membres engourdis et la bouche pleine… d’amertume.

Un soir, le fleuve le tenta, il voulut mourir.

Tu excuseras, mon amie, ce geste inélégant mais nécessaire !

Le laquais malveillant d’un banquier millionnaire avait lâché sur lui le dogue de son maître, et cette insulte, peut-être autant que les reproches de son estomac, l’avait poussé à sa sombre résolution.

Donc, Amaury voulut mourir…

Il s’avança au bord de la berge et contempla l’horreur de l’eau noire clapotant à ses pieds. Au travers de ses larmes, il mesurait la profondeur du gouffre où il allait se précipiter. À cet instant, il se rappela sa vie misérable et solitaire, puis il se prit à regretter le soleil qui dorait les moissons, l’âcre senteur des fermes, les ripailles campagnardes dont il avait été le convive par charité, les filles rougeaudes et saines, lutinées, au coin des chemins. Mais son désespoir fut plus fort, il ferma les yeux et… quand