Page:De Coster - Contes brabançons, 1861.djvu/156

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calme village, se dévouer à tous, mais vivre comme un loup, seul, pendant de grands mois, en faut-il davantage pour que des paysans vous prennent pour un fou.

Voici comment je fis sa connaissance : Je me trouvais une après-midi de septembre seul au bois et assis sur la mousse en face d’une clairière que les fleurs des bruyères frémissant au souffle du vent faisaient toute rose. J’écoutais : ce bois semblait chanter. J’avais autour et au-dessus de moi le soleil, les fleurs, de grands arbres, l’air libre. J’étais heureux, mais une soudaine envie de fumer me prit, je n’avais ni pipe, ni tabac, ni moyen de m’en procurer. Force me fut de réprimer mon désir, qui se changea en idée fixe. Je fus distrait, tracassé et devins mélancolique. Le diable avait emporté mon bonheur. Quelques paysans passèrent ; mais ils ne fumaient point. Je souffrais. Ce ridicule supplice dura une grande heure au bout de laquelle j’entendis derrière moi le bruit que fait un homme se frayant un chemin dans le fourré. L’homme sortit du fourré, il fumait. Je courus à lui et lui demandai sans façon du tabac et une pipe. Il m’offrit la sienne tout récemment bourrée. Je lui demandai son nom pour le bénir, il m’apprit qu’il s’appelait Jérôme.

Comme je devais lui rendre son bien, je marchai à côté de lui. Il parla peu d’abord. J’imitai sa réserve ; cependant