— Oui, dit-elle.
— Je vais dire à Lamme de te venir voir.
— Ne le fais point, dit-elle ; il pleurerait & moi pareillement.
— Vis-tu jamais sa femme ? demanda Ulenſpiegel.
Elle, soupirant, répondit :
— Elle pécha avec lui & fut condamnée à une cruelle pénitence. Elle sait qu’il va sur la mer pour le triomphe de l’héréſie, c’eſt une choſe dure à penſer pour un cœur chrétien. Défends-le si on l’attaque, soigne-le s’il eſt bleſſé : sa femme m’ordonna de te faire cette demande.
— Lamme eſt mon frère & ami, répondit Ulenſpiegel.
— Ah ! diſait-elle, que ne rentrez-vous au giron de Notre Mère Sainte Égliſe !
— Elle mange ses enfants, répondit Ulenſpiegel.
Et il s’en fut.
Un matin de mars, le vent qui soufflait aigre, ne ceſſant d’épaiſſir la glace & le navire de Très-Long ne pouvant partir, les marins & soudards du navire menaient noces & ripailles de traîneaux & de patins.
Ulenſpiegel étant à l’auberge, la mignonne femme lui dit, toute dolente & comme affolée :
— Pauvre Lamme ! Pauvre Ulenſpiegel !
— Pourquoi te plains-tu ? demanda-t-il.
— Hélas ! hélas ! dit-elle, que ne croyez-vous à la meſſe ! Vous iriez en paradis, sans doute, & je pourrais vous sauver en cette vie.
La voyant aller à la porte écouter attentive, Ulenſpiegel lui dit :
— Ce n’eſt pas la neige que tu écoutes tomber ?
— Non, dit-elle.
— Ce n’eſt pas au vent gémiſſant que tu prêtes l’oreille ?
— Non, dit-elle encore.
— Ni au bruit joyeux que font dans la taverne voiſine nos vaillants matelots ?
— La mort vient comme un voleur, dit-elle.
— La mort ! dit Ulenſpiegel, je ne te comprends pas ; rentre & parle.
— Ils sont là, dit-elle.
— Qui ?
— Qui ? répondit-elle. Les soldats de Simonen-Bol, qui vont venir, au nom du duc, se ruer sur vous tous ; si l’on vous traite si bien ici, c’eſt comme les bœufs qu’on va tuer. Ah pourquoi, dit-elle tout en larmes, ne le sais-je que de tantôt seulement ?