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LE MANOIR D’HABERVILLE.

vos cultivateurs sont généralement très économes ; plutôt portés à l’avarice qu’autrement ; alors comment concilier cela avec le gaspillage qui doit se faire, pendant les chaleurs, des restes de viandes qu’une seule famille ne peut consumer (e) ?

— Nos habitants dispersés à distance les uns des autres sur toute l’étendue de la Nouvelle-France, et partant privés de marchés, ne vivent pendant le printemps, l’été et l’automne que de salaisons, pain et laitage ; et à part les cas exceptionnels de noces, donnent très rarement ce qu’ils appellent un festin pendant ces saisons. Il se fait, en revanche, pendant l’hiver, une grande consommation de viandes fraîches de toutes espèces : c’est bombance générale : l’hospitalité est poussée jusqu’à ses dernières limites depuis Noël jusqu’au carême. C’est un va-et-vient de visites continuelles pendant ce temps. Quatre ou cinq carioles contenant une douzaine de personnes arrivent ; on dételle aussitôt les voitures, après avoir prié les amis de se dégreyer (dégréer) la table se dresse, et à l’expiration d’une heure tout au plus, cette même table est chargée de viandes fumantes (f).

— Vos habitants, fit Arché, doivent alors posséder la lampe d’Aladin !

— Tu comprends, dit Jules, que s’il leur fallait les apprêts de nos maisons, les femmes d’habitants, étant pour la plupart privées de servantes, seraient bien vite obligées de restreindre leur hospitalité, ou même d’y mettre fin ; mais il n’en est pas ainsi : elles jouissent même de la société sans guère plus de trouble que leurs maris (g). La recette en est bien simple : elles font cuire de temps à autre, dans leurs moments de loisir, deux ou trois fournées de différentes espèces de