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NOTES DU CHAPITRE PREMIER.

tirent le canon pour nous disperser, quand ils nous voient de grand matin occupés à préparer des chemins pour descendre nos canots ou pour d’autres objets. Nous ne sommes ordinairement qu’une poignée d’hommes, mais vous autres qui êtes si fins, mettez-vous donc à l’œuvre, cinq, dix et même vingt mille hommes, et nous verrons si vous le ferez déraper !

Baron avait bien raison ; j’ai vu des cinquantaines d’hommes travailler des journées entières pour faire avancer d’un demi arpent des goélettes prises dans les glaces formées pendant une seule nuit, sur de bien petites rivières.


CHAPITRE TROISIÈME.


(a) J’avais vingt ans lorsque je rendis visite à la prétendue sorcière de Beaumont. Je retournais de Saint-Jean-Port-Joli à Québec, après un court voyage chez mes parents. Mon père m’avait donné, à cause de mes péchés, je crois, un de ses censitaires pour charretier : c’était un habitant très à l’aise, mais qui lui devait une quinzaine d’années d’arrérages de cens et rentes. Mon père, ainsi que mon grand-père, avaient pour principe de ne jamais poursuivre les censitaires : ils attendaient patiemment ! c’est un mal de famille. Mon conducteur de voiture était très reconnaissant, à ce qu’il paraît, de cette indulgence ! c’était un de ces hâbleurs insolents, bavard impitoyable, comme on en rencontre quelquefois dans nos paroisses de la Côte du Sud, et qui descendent presque tous de la même souche. Obligé, en rechignant, de s’acquitter envers le père d’une dette légitimement due, il s’en dédommageait amplement sur le fils par une avalanche de sarcasmes grossiers, de bas quolibets, à l’adresse des curés, des seigneurs, des messieurs qu’il gratifiait à n’en plus finir du nom de dos blancs, d’habits à poches, etc.[1]

J’étais résigné à endurer ce supplice avec patience ; sous l’impression qu’il ne cherchait qu’un prétexte pour me planter-là. Arrivé à la paroisse de Beaumont, il me parla de la mère Nolette, la femme savante, la sorcière qui connaissait le passé, le présent et l’avenir ; le tout appuyé d’histoires merveilleuses de curés, de seigneurs, de dos blancs et d’habits à poches qu’elle avait rembarrés. Je lui dis à la fin que les gens d’éducation avaient l’avantage sur lui de ne pas croire de telles bêtises, et qu’elle n’avait rembarré, suivant son expression, que des imbéciles comme lui.

Ce fut de sa part un nouveau déluge de quolibets.

— Voulez-vous faire un marché avec moi, lui dis-je ; nous allons arrêter chez votre sorcière : si je vous prouve qu’elle n’est pas plus sorcière que vous, ce qui n’est pas beaucoup dire, voulez-vous me promettre de ne plus me parler pendant le reste de la route ?

  1. Le mot injurieux « dos blancs » venait probablement de la poudre que les messieurs portaient journellement, et qui blanchissait le collet de leurs habits.