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NOTES DU CHAPITRE SIXIÈME.

a tanta ! a tanta ! bétri cook ! et chacun d’accourir à qui mieux mieux ; le dernier arrivé était passible d’une amende assez arbitraire.

Le lecteur, je suppose, n’est guère plus savant qu’il l’était avant cet exposé : je vais lui venir en aide. Bien peu de Canadiens-Français parlaient l’anglais à cette époque ; et ceux qui s’en mêlaient, massacraient sans pitié la langue de sa Majesté Britannique, tandis que les enfants anglais étant peu nombreux parlaient le français aussi bien, ou aussi mal que nous. Je dois supposer que ce que nous prononcions bétri cook devait être Pastry cook, pâtissier : artiste si apprécié de tout temps du jeune âge. Quant aux deux mots, a tanta, c’était peut-être notre manière de prononcer attend all, rendez-vous tous : nous en étions bien capables.

Mais revenons à nos moutons. J’avais à peine rejoint mon premier ami, qu’un autre petit polisson, qui faisait rouler, à force de coups de bâton, un cercle de barrique aussi haut que lui, et orné intérieurement de tous les morceaux de fer-blanc qu’il avait pu y clouer, répondit à l’appel en criant aussi cook ! cook ! Un troisième accourut ensuite en agitant entre ses doigts deux immenses os de bœuf, castagnettes peu coûteuses et très à la mode parmi ces messieurs. Celui-ci criait : « Roule billot, la moelle et les os » : c’était un autre cri de ralliement. Comment me séparer d’une société si distinguée ! j’étais bien, à la vérité, un peu confus, humilié même, de ne pouvoir faire ma partie dans ce charmant concert ! D’abord, les instruments me manquaient, et je n’avais pas même acquis ce cri aigre, aigu, particulier aux gamins des villes, si difficile à imiter pour un petit campagnard récemment arrivé parmi eux. Mais ces messieurs, pleins d’indulgence, en considération des sous qu’ils me suçaient, ne se faisaient aucun scrupule de m’admettre dans leur aimable société.

J’avais, malheureusement, alors, mes coudées franches, étant en pension chez des étrangers ; mon père et ma mère vivaient à la campagne, et j’évitais avec grand soin, dans mes escapades, ceux de mes parents qui demeuraient à Québec. Aussi étais-je, au bout de deux ans, maître passé dans l’art de jouer le marbre, à la toupie, &c. La marraine, hélas ! était le seul jeu dans lequel je montrais mon infériorité. Il fallait se déchausser pour bien faire circuler une pierre, en se balançant sur un seul pied, à travers un certain nombre de cercles tracés sur la terre ; et ces messieurs, tant ceux qui marchaient assez souvent nu-pieds, que ceux qui ôtaient leurs souliers pour l’occasion, avaient un grand avantage sur moi en se servant, pour cette opération, des doigts des pieds avec autant de dextérité que des singes. Certaines habitudes aristocratiques, que j’avais contractées dans ma famille, m’empêchaient de me déchausser dans les rues ! c’était être par trop orgueilleux !

J’avais donc fait beaucoup de progrès dans l’art de la gaminerie, mais peu dans mes études, quand mon père, qui appréciait fort peu mes talents variés et estimables, me flanqua (c’était son expression quand il était de mauvaise humeur), me flanqua, dis-je, pensionnaire au séminaire de