Québec. Je ne puis nier que j’y gagnai beaucoup, mais aussi notre bonne ville perdit un de ses polissons les plus accomplis.
Mais revenons encore une fois à mes précieux compagnons ; car, au train dont j’y vas, mon histoire sera éternelle, elle n’aura ni commencement, ni fin.
— Qu’allons-nous faire ? cria le roule-billot en agitant ses castagnettes.
— Nous baigner, répondit le gamin en chef.
Là-dessus, nous descendîmes la côte de Léry, à la course ; et nous fûmes bien vite rendus sur la grève vis-à-vis de la rue Sault-au-matelot ; la marée était haute et baignait le sommet d’un rocher élevé d’environ sept à huit pieds. Quelques minutes étaient à peine écoulées que mes trois amis se jouaient comme des dauphins dans les eaux fraîches du fleuve Saint-Laurent, tandis que, moi, j’étais resté triste, pensif et désolé, comme la fille du soleil après le départ d’Ulysse.
— Est-ce que tu ne te baignes pas ? me crièrent les bienheureux dauphins.
— Je ne sais pas nager ; répondis-je d’une voix lamentable.
— C’est égal, fit le principal gamin, que j’admirais beaucoup, jette-toi toujours à l’eau, innocent ! imite la grenouille, et si tu te noies, nous te sauverons.
Comment résister à une offre aussi gracieuse ! « si tu te noies, nous te sauverons ; » je fus irrésolu pendant une couple de minutes ; le cœur me battait bien fort : j’avais un abîme à mes pieds ! la honte l’emporta, et je m’élançai dans l’eau. À ma grande surprise, je nageai aussitôt avec autant de facilité que les autres. Je m’éloignai peu d’abord, comme le petit oiseau, qui, sortant de son nid, fait l’essai de ses ailes ; et je remontai sur mon rocher. Ah ! que le cœur me battait ! mais c’était de joie alors. Que j’étais fier ! j’avais conquis un nouvel élément. Mes amis s’étaient éloignés ; je jouis pendant un certain temps de ma victoire : et me jetant de nouveau à l’eau, j’allai vite les rejoindre au large. Il ne me manquait que la force musculaire pour traverser le Saint-Laurent.
Je ne conseille à personne de suivre mon exemple, à moins d’être assisté de puissants nageurs. Il est certain que je me serais infailliblement noyé, si ma bonne étoile ne m’eût favorisé : qu’attendre, en effet, d’enfants de mon âge ? Il est même probable que la ville de Québec, aurait eu aussi à regretter la perte d’un ou deux autres de ses gamins les plus turbulents.
L’art de nager ne s’oublie jamais ; pourquoi ? parce que tout dépend de la confiance que l’on a en soi-même, c’est la chose la plus simple : chacun pourrait nager, s’il conservait son sang-froid et se persuadait qu’il peut le faire. Le premier mouvement d’une personne qui tombe à l’eau par accident, est, aussitôt qu’elle revient à la surface, de se renvoyer la tête en arrière pour respirer, ce qui la fait caler infailliblement. Qu’elle tienne au contraire son menton seulement à la surface de l’eau, qu’elle imite les mouvements de la grenouille, ou bien qu’elle batte l’eau alternativement des pieds et des mains à l’instar des quadrupèdes ; et elle nagera aussitôt.
Si, lors du sinistre du vapeur, le Montréal, brûlé il y a six ans, vis-à-vis