Page:De Gaspé - Les anciens canadiens, 1863.djvu/374

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
376
LES ANCIENS CANADIENS.

Québec. Je ne puis nier que j’y gagnai beaucoup, mais aussi notre bonne ville perdit un de ses polissons les plus accomplis.

Mais revenons encore une fois à mes précieux compagnons ; car, au train dont j’y vas, mon histoire sera éternelle, elle n’aura ni commencement, ni fin.

— Qu’allons-nous faire ? cria le roule-billot en agitant ses castagnettes.

— Nous baigner, répondit le gamin en chef.

Là-dessus, nous descendîmes la côte de Léry, à la course ; et nous fûmes bien vite rendus sur la grève vis-à-vis de la rue Sault-au-matelot ; la marée était haute et baignait le sommet d’un rocher élevé d’environ sept à huit pieds. Quelques minutes étaient à peine écoulées que mes trois amis se jouaient comme des dauphins dans les eaux fraîches du fleuve Saint-Laurent, tandis que, moi, j’étais resté triste, pensif et désolé, comme la fille du soleil après le départ d’Ulysse.

— Est-ce que tu ne te baignes pas ? me crièrent les bienheureux dauphins.

— Je ne sais pas nager ; répondis-je d’une voix lamentable.

— C’est égal, fit le principal gamin, que j’admirais beaucoup, jette-toi toujours à l’eau, innocent ! imite la grenouille, et si tu te noies, nous te sauverons.

Comment résister à une offre aussi gracieuse ! « si tu te noies, nous te sauverons ; » je fus irrésolu pendant une couple de minutes ; le cœur me battait bien fort : j’avais un abîme à mes pieds ! la honte l’emporta, et je m’élançai dans l’eau. À ma grande surprise, je nageai aussitôt avec autant de facilité que les autres. Je m’éloignai peu d’abord, comme le petit oiseau, qui, sortant de son nid, fait l’essai de ses ailes ; et je remontai sur mon rocher. Ah ! que le cœur me battait ! mais c’était de joie alors. Que j’étais fier ! j’avais conquis un nouvel élément. Mes amis s’étaient éloignés ; je jouis pendant un certain temps de ma victoire : et me jetant de nouveau à l’eau, j’allai vite les rejoindre au large. Il ne me manquait que la force musculaire pour traverser le Saint-Laurent.

Je ne conseille à personne de suivre mon exemple, à moins d’être assisté de puissants nageurs. Il est certain que je me serais infailliblement noyé, si ma bonne étoile ne m’eût favorisé : qu’attendre, en effet, d’enfants de mon âge ? Il est même probable que la ville de Québec, aurait eu aussi à regretter la perte d’un ou deux autres de ses gamins les plus turbulents.

L’art de nager ne s’oublie jamais ; pourquoi ? parce que tout dépend de la confiance que l’on a en soi-même, c’est la chose la plus simple : chacun pourrait nager, s’il conservait son sang-froid et se persuadait qu’il peut le faire. Le premier mouvement d’une personne qui tombe à l’eau par accident, est, aussitôt qu’elle revient à la surface, de se renvoyer la tête en arrière pour respirer, ce qui la fait caler infailliblement. Qu’elle tienne au contraire son menton seulement à la surface de l’eau, qu’elle imite les mouvements de la grenouille, ou bien qu’elle batte l’eau alternativement des pieds et des mains à l’instar des quadrupèdes ; et elle nagera aussitôt.

Si, lors du sinistre du vapeur, le Montréal, brûlé il y a six ans, vis-à-vis