Page:De Saumery - Les délices du Pais de Liége, Tome I, 1738.djvu/94

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
66
Les Délices

ſormé & établi le Peuple, & qui d’eſclave qu’il étoit, l’avoit fait libre, & non point le Peuple, qui avoit choiſi & établi le Prince, mais les Liégeois n’étoient point capables, dans le treiziéme Siécle, de faire ſes réflexions, & leur incapacité étoit rélative à l’ignorance du Siécle, ignorance si grande & fi univerſelle, que Henri de Gueldres, leur Prince & leur Evêque, ſe diſpenſoit, au raport d’un grand Pape, qui le connoissoit particuliérement, de dire ſon Bréviaire, parce qu’il n’avoit aucune connoiſſance de la Langue latine.

L’on ne doit donc pas être ſurpris ſi le Peuple regardoit comme certaine & indubitable une ſuposition, qui étoit radicalement fauſſe, & ſi ſous ce prétexte il voulut changer un gouvernement, dont il ſe croioit l’Auteur & le Fondateur. Il est moins ſurprenant de voir un Peuple errer ſur un fait, dont l’époque remonte à cinq ou ſix Siécles, que de voir un Evêque, qui n’a aucune connoissance de la Langue, dont il doit ſe ſervir dans ſes principales fonctions.

Ce fut, ſans doute, cette ignorance commune au Prince & aux Sujets, qui engagea en partie Henri de Gueldres, à conſentir à l’établiſſement de deux Magistrats Populaires ; il pût d’ailleurs y être déterminé par la cauſe, qui ſervoit de fondement à la prétention du Peuple ; la corruption de ſes Oficiers, qui ne ſe ſervoient du pouvoir qu’il leur avoit confié, que pour oprimer le Peuple, détruire ſa liberté, & anéantir ſes Droits & ſes Priviléges. Quoi qu’il en ſoit, il y conſentit, & ſon conſentement, forcé, ou volontaire, peu importe, étoit un motif plus que ſufiſant pour perſuader au Peuple que ſa prétention étoit légitime.

La même cauſe qui, en mil deux cent cinquante-trois avoit procuré ce premier ſuccès, en procura un ſecond, en mil trois cent quarante-trois. Les Oficiers & les Conſeillers du Prince continuant d’abuſer de leur pouvoir, le Peuple ſe crut en droit de s’opoſer à leurs malverſations, & même de s’en établir le juge. On créa du conſentement d’Adolfe de la Marck, un Tribunal compoſé de vingt-deux Perſonnes, choiſies dans les trois Ordres de