Page:De Scudery - Alaric, ou Rome vaincue, 1654.djvu/143

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Comme on voit quelquesfois le camp volant des gruës,
Garder un ordre exact en traversant les nuës ;
Et sans perdre son rang voler tousjours de front,
Et par un mouvement aussi reglé que prompt.
Tels se font voir alors tous ces vaisseaux de guerre ;
D’une distance esgale ils esloignent la terre ;
Et tous sur une ligne, aydez qu’ils sont du vent,
Suivent leur amiral qui gagne le devant.
Mais pendant qu’ils s’en vont d’une course si prompte,
Un orage s’esleve au cœur d’Amalasonthe ;
Ou plutost recommence à troubler son repos,
En luy faisant maudire, et les vents et les flots.
Il s’en va le barbare ; il s’en va l’infidelle ;
Il s’en va le perfide ; et je le voy, dit-elle ;
O ciel ! Fais que la mer, changeante comme luy,
Puisse punir son crime, et me vange aujourd’huy.
Sousleve tous les flots pour perdre son navire :
Je le dois desirer, si je ne le desire :
Conduits-le, brise-le contre un fameux escueil ;
Il faut à ce grand cœur un aussi grand cercueil ;
La mer qu’il me prefere, est une sepulture,
Digne de cét orgueil qui l’a rendu parjure :
O ciel ! Injuste ciel, je veux ce que tu veux ;
Je consents au départ ; mais consents à mes vœux.
Cede, cede l’amour à l’amante irritée :
Oüy, quittons la pitié, puis qu’il nous a quittée :
Oüy, souhaitons sa perte, et pour nous secourir,
Oüy, souhaitons sa mort, qui nous fera mourir.