Page:De Scudery - Alaric, ou Rome vaincue, 1654.djvu/144

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La trame de mes jours par sa fatale espée,
Aussi bien que le chable en ce jour est coupée :
C’est le dernier excés de sa fiere rigueur,
Et coupant cette corde il m’a percé le cœur.
Je l’ay veu, je l’ay veu, le lasche, le barbare,
Fraper cruellement le coup qui nous separe :
Et vouloir que ma mort, et ce coup inhumain,
Vinssent esgalement de sa cruelle main.
Comme d’une estincelle un fort grand feu s’allume,
De mesme en son grand cœur noyé dans l’amertume,
L’amour devient douleur, et la douleur despit ;
Le despit est apres colere en son esprit ;
Et la colere en suite, en rage convertie,
Fait ceder sa douceur, comme sa modestie ;
Remplit toute son ame ; et la faisant changer,
Toute amante qu’elle est, la porte à se vanger.
Ha ! Rigilde, dit-elle, au lieu de foibles larmes,
Pour punir un ingrat, recommencez vos charmes :
Et si vous connoissez l’excès de mon tourment,
Souslevez tout l’enfer contre un perfide amant.
Poursuivons cét amant, sur la terre et sur l’onde :
Et deust sa vanité chercher un nouveau monde
Apres avoir dompté le monde et les Romains,
Suivons-le, suivons-le pour rompre ses desseins.
Madame (luy respond le sorcier en colere)
J’ay beaucoup fait en vain, mais j’ay beaucoup à faire :
Mon art sera vangé des outrages souffers,
Et le Tibre fameux n’a pas encor des fers.