Page:De Scudery - Alaric, ou Rome vaincue, 1654.djvu/146

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des yeux de la pensée,
Le fantosme irrité d’une amante offensée.
Il se forme un tableau de ses perfections ;
Il luy semble revoir toutes ses actions ;
Et d’une impression aussi forte que tendre,
Il la voit ; il l’entend ; ou du moins croit l’entendre :
Son cœur en est esmeu ; son cœur en est charmé ;
Et l’on voit bien qu’il ayme autant qu’il est aymé.
Il retrace en luy-mesme une adorable image,
Et de son bel esprit, et de son beau visage :
Mais apres chaque image, et chaque souvenir,
Luy cause une douleur, et luy couste un soupir.
Vers le costé de Birch il a tousjours la teste ;
Sa perte, à ce qu’il croit, surpasse une conqueste ;
Et si sur ce sujet son cœur est entendu,
Il ne sçauroit gagner autant qu’il a perdu.
Il ne peut oublier cette belle en colere ;
Il ne le voudroit pas, quand il le pourroit faire ;
Son unique plaisir consiste en ses langueurs ;
Car il en ayme tout, jusques à ses rigueurs.
Quand des hauts officiers, l’illustre et brave troupe,
Croyant le divertir vient le voir sur sa poupe,
Il feint d’estre moins triste ; il leur parle ; il respond ;
Mais son esprit abstrait luy-mesme se confond.
Il songe à son amour, lors qu’il parle de guerre ;
Eux regardent la mer ; luy regarde la terre ;
Et par de grands soupirs, eschapez malgré luy,
Il dit tacitement qu’il souffre un grand ennuy.